La lettre émouvante de Thibaut Pinot à William Bonnet

Thibaut Pinot – Pymouss, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons

William Bonnet a disputé sa dernière épreuve professionnelle début octobre. Le coureur français de 39 ans a en effet décidé de mettre un terme à sa carrière à l’issue de Milan-Turin, après 17 saisons chez les professionnels. Thibaut Pinot, qui a disputé près de 300 jours de course avec Bonnet, a tenu à rédiger une lettre à son ami pour le remercier pour tout ce qu’il a fait pour lui :

« William a terminé sa carrière sportive. Ça fait bizarre de le dire, de l’écrire. Ça fout un coup. Ça s’inscrit dans la continuité d’autres départs de coureurs qui ont beaucoup compté dans ma carrière, que ce soit Jérémy Roy, Cédric Pineau, Arthur Vichot, et ça commence à faire beaucoup. Quand je recevais ma convocation pour une course, je n’avais même pas besoin de vérifier si William allait être là : c’était forcément le cas. La « der », c’était donc Milan-Turin le 6 octobre dernier. Partager une dernière course commune était super important et même si j’aurais préféré gagner pour lui rendre hommage, comme j’avais pu le faire pour Jérémy Roy sur le Tour de Lombardie il y a trois ans, l’essentiel était ailleurs : être ensemble.
 
Je ne peux pas évoquer la carrière de William sans très vite me remémorer le Tour de France 2015. Sa chute sur la troisième étape m’a énormément marqué : il se retourne pour vérifier que je suis bien dans sa roue et il tombe. A 80 km/h. C’est à cause de moi. Une seconde d’inattention car il était soucieux de MON positionnement. Je vois le truc venir, le danger se dessiner, la catastrophe se réaliser, le truc que je craignais, malheureusement, arriver. Ce moment me hante encore. Il m’arrive encore parfois de ne pas dormir de la nuit car j’y repense. Je repense à la course stoppée, aux ambulances pas assez nombreuses pour s’occuper de tous les coureurs. J’ai pensé au pire, j’ai pensé à sa famille, à sa femme, à ses enfants. Je m’en voulais tellement. Je suis redevable à William pour tout un ensemble de choses qu’il a faites pour moi dans sa carrière, et ce sacrifice en fait amplement partie.
 
Vos coéquipiers, ils ne sont pas obligés de faire tout ça. J’ai un énorme respect pour leur travail et il me tient à cœur que tout le monde sache, comprenne, reconnaisse leur valeur. Je pense à ces courses d’un jour difficiles de fin de saison en Italie où des rouleurs ne sont là qu’avec une mission en tête : placer leur leader au pied des bosses. Ensuite, ils bâchent. Ils font ça avec le sourire, ne voient aucun problème à ne pas avoir d’ambitions personnelles. Parfois, des gens s’étonnent de voir certains coureurs alignés sur des courses comme le Tour de France, se disent qu’ils n’ont pas leur place ici. Ils ne se rendent pas compte. Sans eux, rien n’est possible. J’essaye toujours de valoriser leur rôle, de faire le maximum pour qu’ils soient reconnus, et je ne sais même pas si j’arrive à donner assez en retour de tout cela. On peut être tenté de banaliser tous ces sacrifices, que ce lien finisse par sembler naturel : non, il ne faut jamais prendre ça pour acquis.

Un mec comme William, c’est un coureur de tout premier plan. Sans doute, de tous ceux que j’ai pu côtoyer, l’un des plus talentueux. En plaine, il pouvait faire le travail de trois ou quatre coureurs pour me replacer. En montagne, il arrivait à hisser sa grande carcasse en développant une puissance monstre dans le seul but d’être encore à mes côtés une fois le col franchi. William possédait aussi un certain charisme en course, avec sa carrure atypique et son boulot reconnu de tous, qui faisait que personne ne l’approchait dans un peloton. Et il a eu cette force incroyable d’être capable de toujours se relever après les difficultés. Après la chute de 2015, où fort heureusement le pire avait pu être évité, il a été capable de revenir à son meilleur niveau. Dans sa situation, si j’avais des enfants et que j’avais subi une telle épreuve, je ne sais pas si j’aurais été capable de continuer à prendre des risques sur un vélo.

Mais il serait réducteur de ne parler que du William Bonnet coureur. Il était et il reste un grand frère pour moi. Quelqu’un dont je me suis inspiré, notamment quand il a fallu que j’endosse le costume de leader dans l’équipe. Il savait faire passer un message en peu de mots et j’ai essayé de prendre modèle. Je suis le premier à déconner et à dire des bêtises dans un bus, pendant un briefing, mais quand il s’agit de parler sérieusement, il faut savoir se faire écouter et avoir confiance en les autres pour parvenir à le faire. William a pu contribuer à créer cette ambiance dans laquelle je me suis senti à l’aise pour assumer mes responsabilités. J’ai aussi souvenir de l’avoir beaucoup sondé quand il fallait déterminer une tactique, de l’avoir très souvent consulté comme pour aller chercher chez lui ce qui allait me permettre, et nous permettre, d’y croire. Il a énormément de connaissances sur notre sport et j’espère qu’il continuera à travailler dans ce milieu pour continuer à les transmettre.

Le papa de notre équipe a donc mis un terme à sa carrière. Je n’oublierai jamais tout ce qu’il a fait pour moi. Les leaders, dans un groupe, ne sont pas toujours ceux auxquels on pense quand l’on regarde les palmarès, les victoires, les résultats. William était un leader et je voulais que tout le monde le sache ».

Source : Newsletter Groupama – FDJ


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