Enchaîner deux grands tours : comment procéder ?

Dans la carrière d’un cycliste spécialiste des courses par étapes viendra se poser à un moment ou à un autre ce problème de l’enchaînement consécutif de deux grands tours. Si le Giro et le Tour apparaissent souvent trop difficiles à enchaîner, en plus de limiter les possibilités d’être encore compétitif en fin de saison, la Vuelta en tant que préparation aux championnats du monde attire en masse, et souvent des coureurs ayant déjà participé au Tour d’Italie ou au Tour de France.

Giro Tour de France Vuelta

Jouer le général

Pour un coureur habitué à l’exercice, il paraît logique que sur le deuxième grand tour, l’objectif soit le même que sur le premier, c’est-à-dire figurer placé au classement général. Le problème réside dans l’état de fraîcheur. Une course de trois semaines use non seulement le corps, mais aussi l’esprit. Que ce soit sur le plan physique ou mental, l’envie de se battre n’est plus exactement la même. Il s’agit soit de composer avec la fatigue et de limiter au maximum les dégâts tout en intégrant l’idée de ne pouvoir évoluer à son meilleur niveau, soit d’adopter l’attitude inverse, d’être sur la réserve dans la première épreuve et non dans la seconde. Le coureur professionnel étant engagé pour une aptitude particulière sur un terrain donné, il doit généralement s’astreindre à ce rôle et est donc souvent contraint à devoir jouer deux fois le classement général.

Le mieux est d’orienter ce choix en fonction de la difficulté estimée : si l’on programme un doublé Giro – Tour, le Tour de France présentant une concurrence plus forte, étant donné que c’est l’une des plus grandes épreuves de l’année, mieux vaut se présenter un ton au-dessous de son maximum en Italie plutôt que d’arriver cramé au Tour de France. Le mythique duel entre Anquetil et Poulidor en 1964 tient à ce constat : Anquetil fatigué par sa victoire transalpine se mit à portée de son adversaire. Choisir d’arriver au top en Italie fait courir à l’échec en France, comme Contador en 2011. Même pour un doublé Giro – Vuelta ce schéma est valable. Contador en 2008 remporta le Tour d’Italie à l’arrachée avant de survoler le Tour d’Espagne tandis que Nibali, surpuissant en mai 2013, fut beaucoup plus faillible au mois d’août.

Reste le cas des coureurs, que ce soit pour cause de blessure, de retour à la compétition tardif ou d’objectif choisi en début d’année, qui utilisent un premier grand tour comme préparation à un second. Une course de trois semaines bien utilisée équivaut à un super-stage d’entraînement. C’est d’ailleurs la raison de la présence de tant de coureurs de renom sur les routes espagnoles ayant pour objectif les championnats du monde. Bradley Wiggins et Lance Amstrong s’alignèrent en 2009 sur les routes italiennes avant de figurer dans le haut du classement du Tour. Alejandro Valverde monta en puissance sur le Tour 2012 avant de finir second sur la Vuelta. Il est plus simple sur le plan mental, et souvent plus efficace, de participer à une course que d’aller tous les matins s’éreinter à l’entraînement. Doubler deux grands tours nécessite de bien régler ses pics de forme, selon ses envies, ses objectifs et les décisions de son équipe.

Jouer les étapes

S’il est possible d’utiliser le premier grand tour comme un entraînement, il est aussi possible de choisir la seconde comme un moyen de préparer sa fin de saison, avec les Mondiaux et le Tour de Lombardie en ligne de mire. L’exemple récent de Rafal Majka sur le récent Tour de France a montré l’intérêt d’une telle démarche. Même si cela fut involontaire et rendu nécessaire par le retrait de Roman Kreuziger, la réussite en fut éclatante. Plutôt que de s’acharner inutilement à reproduire une régularité dont on n’est plus capable, le meilleur moyen de réussir peut être de passer par un autre schéma de course et d’engranger des succès inaccessibles en cas de lutte à armes égales avec les leaders de l’épreuve.

L’essentiel est d’observer une bonne période de repos après le premier grand tour. On remet ensuite la machine en marche, avant l’épreuve dans un premier temps, mais aussi pendant la première semaine de course, où malgré ses capacités, il ne faut pas chercher à suivre le rythme des meilleurs. Il s’agit de profiter d’une fraîcheur dont les coureurs placés au général seront dépourvus. Cela peut aussi se faire en cours de route comme Rui Costa sur le Tour 2013, qui, ayant perdu de vue le général, put se refaire une santé. Cette manière de courir peut surtout être privilégiée quand le coureur n’a rien à gagner d’une autre place dans un top 10.

Thibaut Pinot, qui a annoncé sa volonté de jouer les étapes sur la Vuelta 2014, a fini la même année sur le podium du Tour ; quand en 2013 sa septième place en Espagne avait valeur de rédemption, un top 10 en 2014 était presque un signe de régression, et en tout cas n’aurait pas un très grand intérêt face à la plus-value d’une victoire à la pédale. Pour tout coureur (et pour toute équipe), il s’agit de cerner l’intérêt dans la participation à un deuxième grand tour. Nairo Quintana ne peut, à cause de son statut, que jouer le général. C’est à la fois la chance et le malheur du Tour d’Espagne, pouvant attirer les meilleurs du peloton, mais n’étant jamais considéré dans le cyclisme à l’égal de ses deux frères latins.

Article rédigé par Johann Peyrot du blog Impressions Cyclistes


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