Coxyde 1994 : Comme un coup de foudre

Koksijde 1994 - podiumJanvier 1994. Les championnats du monde de cyclo-cross ont lieu sur des dunes flamandes. Cela se prononce Coxyde pour les français, Koksijde pour les flamands. Le vent est froid et humide. On doit cela à la mer que l’on ne voit à aucun moment du circuit, malgré sa proximité.

Le champion du monde sortant est français. Un certain Dominique Arnould, qui était allé arracher son maillot à Corza en Italie un an plus tôt. Un ami de mon père qui plus est. Autant de raisons pour ce père de se dire : il y a quelque chose à aller voir en Belgique. Quelque chose d’énorme, mais moi, du haut de mes 13 ans, je n’en savais rien encore.

L’argent manque à la maison et pourtant on part ce samedi, veille de mondial, motivés comme jamais. Samedi soir, on déambule en famille dans les rues d’Ostende. Pour patienter. Nous nous faisons alpaguer par un breton en perdition. Dans son phrasé imbibé, on comprend qu’il est là pour la même chose que nous mais qu’il a perdu ses compagnons. L’alcool l’aura trahi cette fois. Après avoir assuré la logistique, repas, hôtel, nous nous engageons à l’emmener demain.

Dimanche matin, jour de course. Il est temps pour nous de mesurer l’énormité d’un mondial flamand. Ce monde a perte de vue, et nous, avec ce breton sur les bras à la recherche de ses compagnons de beuverie. Il ne nous aura pas fallu plus de 30 minutes pour les retrouver accoudés au comptoir hurlant « j’ai soif de la vie ». Ce mondial est un leurre pour eux. Ils ne sauront jamais qui a gagné ou peut-être le lendemain dans les journaux. Il paraît qu’un poulet nous attend dans sa ferme depuis ce jour en guise de remerciement.

Il est temps pour nous de nous immerger. Des stands partout, des haut-parleurs qui hurlent. Et un Miguel Martinez junior qui va chercher un top 10 en préambule des Elites. On se colle à une banderole 4 heures avant le départ. On mange et on attend. On attend. L’excitation monte. Les coureurs repèrent le circuit, on aperçoit Arnould, champion du monde, qui va officiellement abandonner son titre dans quelques minutes. On le salue mais pas de réponse. Trop concentré.

Un passage pour traverser est à coté de notre emplacement mais on ne décollera pas, malgré ce policier qui fait la circulation et qui nous cache à moitié la vue. De toute façon, trop tard pour bouger, bien trop de monde. Ce flic est raide, limite antipathique. Il n’avait sûrement pas prévu d’être là debout dans le sable toute une journée pour faire traverser des piétons indisciplinés. Plus que quelques minutes avant le départ. Plus personne ne traverse. L’appel est fini, les coureurs sont en place. Plus de bruit. Shuuuuttttt.

Koksijde 1994

BANG. Le coup de canon libère les fauves, le premier virage sera fatal à Arnould, pris dans une chute (le Luxembourgeois Triebel l’est également). Ils arrivent devant nous, à pied dans le sable. Les tours passent, la course prend son fil. Un homme seul en tête. La mauvaise blague dans ce sable, il s’agit d’un Hollandais, un gamin qui défie les belges à la maison. Quel audace. Groenendaal sera seul pendant une grande partie de la course à tenir tête à la colonie flamande. Herijgers revient petit à petit. La tension monte. Il était écrit et hurlé par les spectateurs flamands qu’un Hollandais ne gagnerait pas aujourd’hui, pas à Coxyde, pas sur leurs terres.

Il reste un tour, la foule hurle, le sable vacille. Je suis belge à ce moment-là, nous sommes tous belges, nous espérons son sacre. Nous pouvons suivre au bruit l’arrivée d’Herijgers. Il est là devant nous, seul. Le policier hurle, il est en transe, finalement fier. Herijgers gagne, la foule explose, le policier prend mon père dans les bras en hurlant quelque chose en flamand incompréhensible, et pleure. Groenendaal se fait la peau mais rien n’y fait. Herijgers rentre sur lui devant nous, à pied dans le sable. Se moque de lui, en lui adressant une tape amicale dans le dos pour lui signifier « je suis là ». Cette tape n’avait d’amicale que son expression. Puis il le lâche.

Il est temps de quitter ce sable, ce lieu. On retourne à la voiture sans un mot, excités, contents, tristes que ce soit fini. Toutes les émotions s’enchaînent. On aimerait parler mais les mots ne sont pas à la hauteur de ce qu’on souhaiterait exprimer.

Quelque chose venait de changer ma vie, je n’en savais rien. Visiblement mon père, lui, savait. Ce sera pour mon gamin : Comme un coup de foudre !

OLLIVIER Loïc


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